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L’état de stress post traumatique résulte d’une inversion de l’activité du cerveau provoquée par les hormones du stress

Florence ROSIER

Impact Medecin

Une équipe française (Inserm, Bordeaux) montre, dans un modèle de souris, que l’état de stress post-traumatique est lié à une surproduction de glucocorticoïdes, induisant des difficultés de mémorisation qui s’accompagnent d’une réorganisation de l’activité du cerveau - notamment du circuit hippocampe-amygdale. Ces découvertes sont publiées dans Science on line le 23 février.

L’exposition à des événements très stressants peut entraîner chez certains individus un état pathologique, l’état de stress post-traumatique (ESPT). Aux Etats-Unis, ce syndrome toucherait 6,8% de la population générale, près du tiers des vétérans de la guerre du Vietnam et 12% des vétérans de la guerre du Golfe.

Les bases biologiques de cet état traumatique ont été étudiées par l’équipe de Pier-Vincenzo Piazza, directeur du Neurocentre Magendie à Bordeaux (Inserm/ Université Victor Segalen). Leurs résultats sont détaillés on line dans la revue Science du 23 février.

Dans cet état de stress, la mémoire de la personne est perturbée : elle n’est plus capable d’adapter sa réaction de peur au « bon » contexte et aux « bons » éléments prédictifs. Elle prend donc peur dans des situations qui ne présentent aucune réelle menace. Ces peurs deviennent alors de plus en plus envahissantes jusqu’à empêcher une vie normale.

Les groupes de Pier-Vincenzo Piazza et Aline Desmedt montrent que ces difficultés de mémorisation associées à l’ESPT ne sont pas spécifiques à l’être humain et sont retrouvées chez la souris. Pour cela, les chercheurs ont conditionné des souris à anticiper une menace plus ou moins forte (un choc électrique) par un contexte spécifique (un environnement annonciateur), et à distinguer ce contexte annonciateur de stimuli présents lors du conditionnement mais qui ne prédisent pas la menace (un son).

En condition normale, les souris montrent une réaction de peur quand elles sont exposées au contexte prédictif (l’environnement annonciateur) de la menace, mais ne réagissent pas au son qui ne la prédit pas.

Les chercheurs ont alors administré, après la session de conditionnement, des concentrations croissantes d’hormones glucocorticoïdes, la principale réponse biologique au stress chez les mammifères. Si l’administration de glucorticoïdes suit une menace intense, les souris ne parviennent plus à restreindre la réponse de peur au « bon » contexte ni aux bons indices annonçant l’éventuelle menace. Les animaux commencent à montrer de la peur en s’immobilisant en réponse à des indices qui étaient présents pendant la situation stressante mais qui ne prédisent en rien la menace.

Ces résultats suggèrent que l’ESPT est lié à une surproduction de glucocorticoïdes chez certains sujets lors de l’événement traumatique.

Ces difficultés de mémorisation induites par les glucocorticïdes s’accompagnent d’une réorganisation de l’activité du cerveau, notamment du circuit hippocampe-amygdale, un des circuits essentiels à l’encodage des souvenirs associés à la peur.

Dans les conditions normales, quand une personne associe une menace à un contexte, on observe une forte activité dans l’hippocampe – une structure cérébrale nécessaire pour tous les apprentissages associant un contexte spécifique, un espace et un événement. En revanche, on observe une faible activité de l’amygdale – une zone du cerveau aussi impliquée dans la mémoire émotionnelle, mais qui mémorise des indices spécifiques, comme des sons, prédisant la menace.

Mais quand les sujets sont soumis à une augmentation des glucocorticoïdes et présentent des déficits de mémoire qui caractérisent l’ESPT, l’activité dans l’hippocampe baisse, alors que l’activité dans l’amygdale augmente. En état de stress post traumatique, il y a donc une inversion de l’activité normale du cerveau.

L’activité anormale dans l’amygdale peut expliquer le fait que le sujet commence à « sur-répondre » à des prétendus indices, présents au moment de l’événement traumatisant mais qui ne sont pas, en eux-mêmes, prédictifs d’un quelconque danger. L’activité faible dans l’hippocampe peut expliquer pourquoi le sujet ne reconnaît plus le bon contexte et devient incapable de confiner la réaction de peurs à la situation appropriée.

Selon les auteurs, les problèmes de mémorisation liés à l’ESPT semblent donc causés par une réponse biologique au stress anormale chez certains individus : une production excessive de glucocorticoïdes concomitante à une exposition à un stress intense provoque, chez ces individus, une inversion de l’activité normale des structures du cerveau qui encodent les souvenirs liés à la peur.

« Nous avons démontré que l’ESPT se produit aussi chez d’autres espèces que l’homme et qu’il a donc des origines biologiques communes. Le modèle souris d’étude de cette pathologie ouvre la voie à une meilleure compréhension des bases moléculaires de cet état pathologique qui pourraient permettre le développement de thérapies », concluent les chercheurs.

Le stress : mieux comprendre ses mécanismes

Avec Michel Le Moal, neuropsychiatre, membre de l’Académie des sciences

Le stress serait-il l’un des grands maux de notre siècle ? Pour Michel Le Moal, si le stress a toujours existé, il semble que nous soyons plus perméables à ses effets indésirables. Il revient ici sur l’origine du mot et l’évolution de nos connaissances en la matière, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Le neuropsychiatre aborde dans un second temps les inégalités face au stress.

Stress au travail, stress à l’école, conduite et transports stressants… Sommes-nous plus stressés qu’avant ? Michel le Moal observe tout d’abord que le terme de stress est devenu récurrent dans nos conversations et dans les médias. « On a le sentiment que le stress vient d’apparaître. Or le stress existe depuis toujours. Pensons à nos aînés qui partaient en mer, étaient mobilisés à la guerre, descendaient au fond des mines. Le stress était vécu quotidiennement. Il était certainement même plus violent. Mais les hommes l’admettaient, ou avaient la capacité de s’ajuster à ces événements de vie ». Nous ne serions donc pas plus stressés, mais notre perception et notre résistance au stress ont évolué. Pour Michel Le Moal deux facteurs expliquent cette plus forte vulnérabilité : « L’individualisme est apparu et avec, une certaine solitude. N’oubliez pas que la France était rurale à 85 % dans les années 1945. Les individus vivaient dans leurs familles, des groupes, des clans. Les événements de vie, même très graves, étaient tamponnés grâce à l’aide de la communauté. Actuellement, il y a de plus en plus de personnes seules. Les événements de vie sont ressentis plus durement. Et puis s’ajoutent à cela des conditions de vie sociale de plus en plus difficiles. « Vous aurez du mal à expliquer à vos aïeuls que vous mettez trois heures de transports pour faire l’aller-retour entre votre domicile et votre lieu de travail, chose certainement impensable il y a quelques décennies ».

Qu’est-ce que le stress ?

Le terme de « stress » utilisé dans le milieu médical date des années 1920. On le voit apparaître dans les écrits de Walter Cannon en 1927, avant d’être repris par le chercheur hongrois Hans Selye. « Cannon a emprunté ce mot anglais aux physiciens mécaniciens. "Stress" désigne une force déformant le matériau. Le résultat de cette déformation, c’est "the strain" ». Ainsi nous opérons des abus de langage en parlant le plus souvent de stress. Nous devrions distinguer la cause et le résultat, le « stresseur » et le « stress ». Exemple : vous êtes en retard à un rendez-vous, vous avez les mains moites : le « stresseur », c’est le retard (the strain), le stress c’est le résultat : vos mains transpirent sans raison apparente.

Curieusement, il n’existe pas de définition exacte, au sens médical du terme. « La raison est simple », explique Michel Le Moal : « le processus du stress, le concept et les connaissances que nous avons sur cette déformation évoluent rapidement sur le plan scientifique ».

Hippocrate, Confucius, Bouddha, Lao Tseu… Orient et Occident réfléchissent dès l’Antiquité sur la notion de bien-être et d’harmonie pour une vie meilleure. Les Grecs, toutes écoles confondues, en arrivent au concept d’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de trouble, l’équilibre. En Orient, les écrits portent sur une sorte d’équanimité, toujours à la recherche du moindre déséquilibre possible.

Claude Bernard (1813 - 1878)

Membre de l’Académie des sciences, membre de l’Académie française, membre de l’Académie nationale de médecine

À l’aube du XIX, début du XX siècle, les scientifiques avancent sur les mécanismes du stress. Dans ce domaine, Michel Le Moal évoque la mémoire de trois maîtres : « Le premier c’est Claude Bernard. Il n’a pas travaillé dans le cadre du stress, mais il avait bien vu que l’équilibre interne des ensembles physiologiques était absolument nécessaire pou avoir une vie libre. Walter Cannon quant à lui a forgé un concept plus large, celui d’homéostasie, c’est-à-dire celui d’équilibre physiologique. Il va plus loin que Claude Bernard. Pour lui, chaque organe stimulé provoque un certain déséquilibre. Ce déséquilibre est contrebalancé par quelque chose à l’intérieur même de ces organes. Enfin, Hans Selye est arrivé en disant qu’un événement de vie important pouvait provoquer des troubles physiopathologiques extrêmement graves ».

Ainsi Cannon et Selye observent deux aspects différents de la physiologie du stress : un système immédiat et un système long.

Cannon travaille sur la mort subite, conséquence d’un état de stress intense. Il isole un concept qui est aussi celui des animaux : « fight or flight », « se battre ou fuir ». Cette réponse est sous-tendue par un système neuronal et endocrinien qui libère l’adrénaline, hormone qui induit une réaction.

Selye découvre que sur des temps longs, c’est la glande corticosurrénale, sécrétant la cortisone chez l’homme, qui est en jeu. Paradoxe : la cortisone, qui permet à ce jour de traiter quelque 200 maladies, peut être également à l’origine du stress.

Inégalité face au stress

Mais tous les individus ne réagissent pas de la même façon face au stress. « Dans les grands événements de vie qui peuvent bouleverser un individu, guerre, holocauste… on s’aperçoit que certains sujets s’en sortent presque « normalement » là ou d’autres ont un genou à terre. Les Américains s’intéressent de près à ces phénomènes. Ils étudient les conséquences des grands traumatismes chez leurs soldats ». Comment expliquer que l’on compte à ce jour 6000 suicides chez les soldats américains revenus de la guerre d’Irak et d’Afghanistan, alors que d’autres réussissent à se réinsérer dans la vie ?

Michel Le Moal y voit deux éléments de réponses : « il y a tout d’abord la génétique ; nous sommes tous différents génétiquement et physiologiquement. Ensuite, il y a l’enfance : dès le monde intra-utérin, puis dans la période postnatale jusqu’à 4-5 ans, on estime que l’enfant imprime les traces d’événements de vie nocifs, considérés objectivement comme stress. Ceci est très étudié chez les rongeurs ». L’individu se construit avec des événements de vie qui peuvent le transformer dans un état apparent de vulnérabilité.

Le stress dans les milieux sociaux

Michel Le Moal s’est intéressé de près à l’interaction stress/milieu social. On s’est en effet aperçu que chez les enfants, naître et grandir dans un contexte socio-économique bas ou élevé et stressant, pouvait avoir des conséquences à long terme sur l’organisme.

« Depuis cinq ans, on observe que la sollicitation du système corticosurrénalien entraîne des sécrétions élevées dont on sait que l’hormone a des récepteurs dans le cerveau mais aussi dans toutes les cellules. Ces sécrétions répétées rendent les organes hypo-sensibles. Le phénotype moléculaire génétique s’est transformé selon le milieu socio-économique. Ces modifications ont lieu dans le système nerveux mais aussi dans les systèmes immunitaires : les jeunes enfants nés dans un milieu socio-économique bas sont de ce fait plus disposés aux maladies inflammatoires, aux bronchites et à l’asthme ».

En ce sens, de nombreuses études prônent une nouvelle médecine intégrant les sciences sociales à la biologie et à la médecine. C’est un acquis en Angleterre et aux États-Unis. Ces derniers les appellent d’ailleurs des « pathologies sociales ».

Mais « n’oublions pas que le stress, c’est la vie ! » rappelle Michel Le Moal. « Nous sommes stressés du matin au soir dans la mesure où nous nous ajustons en permanence à des événements de la vie ».

Jusque dans une certaine mesure, le stress est aussi notre moteur.

Michel Le Moal

© Brigitte Eymann / Académie des sciences

Michel Le Moal est neuropsychiatre, membre de l’Académie des sciences et premier psychiatre à intégrer cette Académie. Parmi toutes les responsabilités que Michel Le Moal a exercées, il a créé et dirigé l’Institut fédératif de recherche « Neurosciences cliniques et expérimentales » de 1994 à 1998, il a également créé l’Institut François Magendie de Neuroscience à l’Inserm. Professeur émérite à l’université Victor Ségalen à Bordeaux, il a été aussi directeur du Laboratoire de psychopathologie expérimentale de l’École pratique des hautes études, membre émérite de l’Institut universitaire de France.

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